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ça sent pas la rose
3 août 2007

Le jour où j'ai déçu Barbie

barbieforever

Rose pour les filles, bleu pour les garçons.
La guerre des sexes commence en maternelle. À 3 ans, sonne l’heure des choix et le glas de l’insouciance. En cour de récré’, il s’agit de savoir avec qui « s’afficher », nouer –déjà- de vraies/fausses amitiés pour tenter d’être respecté. À 3 ans, on apprend à ne surtout jamais être soi. Trop dangereux. Dans cette société à échelle réduite, deux clans se distinguent et se défient. Les filles (signes distinctifs : des couettes et des jupes qui tournent) v/s les garçons (signes distinctifs : des coupes de cheveux pratiques et des vêtements pratiques ornés à l’occasion de morve séchée) 1. Entre eux, une atmosphère à couper au couteau. Dans le genre western, duel, musique lancinante et rivales de moins d’1 mètre 20 toujours prêts à dégainer. C’est le premier qui dit qui l’est. Adresser la parole à une personne du sexe opposé ? Arborer une couleur non réglementaire ? C’est prendre le risque de se voir attribuer le mauvais rôle de « bizarre » 2 de service, un être non sexué condamné à errer à la frontière des genres. Bizarre 2, quoi. Avant même d’avoir refourgué leurs dents de lait à la petite souris, nombreux ceux sont qui avait déjà tout perdu : amis, fierté, honneur, réputation. Passer le bac -à sable-, pour accéder aux classes primaires n’était pas une mince affaire.
Je me souviens de la petite Linda D., la coupe au bol, les genoux devenus rougeâtres à force de Mercurochrome, qui un matin de printemps, osa défier les Dieux de la mode en passant la grille du portail affublée d’un bermuda bleu vif. La sentence ne se fit pas attendre : jusqu’en dernière année de lycée, elle fut régulièrement qualifiée de « bonhomme », de garçon manqué ou pire… Qu’est-elle devenue ? Garagiste ? Sapeur-pompier ? Cantonnier ? On n’échappe pas si facilement aux clichés. Chez les garçons, le rose n’était pas encore l’étendard « fashion » que brandit aujourd’hui la tribu des mécheux rebelles à T-shirt rock H&M asphyxiant dans leurs jeans slim. L’équation était nettement plus simpliste. Porter la moindre touche de rose (doublures comprises) revenait à déclarer haut et fort : « Eh, oh, je suis un sous-homme, une femmelette, un dangereux déviant, crachez-moi dessus, faites-moi bouffer du sable et gâchez les plus belles années de ma vie, merci ». Oui, les enfants sont cruels entre eux.
En mode, la prudence était donc de mise. Par instinct de survie, je rejoignis le camp des filles. Et puis il faut avouer qu’en ce temps-là la gent masculine me laissait franchement perplexe. Aux concours de crachats ou de crottes de nez, aux sacrifices de coccinelles, aux feux de brins d’herbe allumés à la va-vite du fond de la cour, je préférais sans conteste les diadèmes en plastique, les déguisements de princesse, les rouges à lèvres cheap achetés au Prisunic et les têtes à coiffer. À cela il faut ajouter que, malgré quelques lacunes (qui se révéleront par la suite handicapantes), je disposais des acquis nécessaires pour faire partie des filles, des vraies. De celles qui (attention, ces critères sont non exhaustifs) :

- ont au moins 5 Barbie en leur possession
- rêvent de posséder des talons aiguilles, rouges si possible
- savent faire la différence entre KiteKat (des croquettes pour chat) et Hello Kitty (l’icône que l’on sait)


Copie conforme, j’étais des leurs. En plastique, ma vie d’adulte, c’est sûr, serait chic et pratique
J’ai pris mon rôle de fille très au sérieux. Presque parfaite malgré quelques dérapages indépendants de ma volonté : une cagoule rouge vif, des coiffures tarabiscotées à base de couettes et d’élastiques, des bottines fourrées façon mémé, un anorak vaguement moutonnant. Ne disposant pas à l’époque de coach perso, ni de relookeur de stars, j’accordais une confiance –aveugle- à ma mère.
Au fil des jours, j’enrichissais ma panoplie façon « check-list ». La lissitude 3 exige la plus grande rationalité. Must du must, j’étais inscrite au club Barbie. Il me fallait du rose et à haute dose. Chaque mois, je guettais mon colis estampillé de la mythique lettre B. Certains rêvent de grands espaces, de héros au sang chaud et de Z qui veut dire Zorro. Moi, je me contentais de couvrir des feuilles à grands carreaux seyes d’un « B. » comme Barbie grâce à un tampon encreur spécial, privilège réservé aux membres du Club. Cette sirène du marketing avait eu raison de moi. La preuve ? Je poussais le vice jusqu’à manger des gâteaux à son effigie, envoyés par colis à l’occasion de mon anniversaire. So chic ! Comme elles disent.


Et puis un jour une Game Boy est entrée dans ma vie. Barbie et son club furent très vite détrônés par Zelda et Mario Bross. Trop occupée, j’avais désormais des princesses à sauver. Moi (et le porte-monnaie de ma mère) prirent congé du club. Un monde qui s’écroule. Barbie, tentant désespérément de sauver les meubles et son chiffre d’affaires, ne tarda pas à m’envoyer une lettre ornée de son portrait, sourire et brushing figés pour l’éternité. Deux paragraphes qui en disent long : Barbie me fait alors savoir qu’elle est attristée par mon départ. Mais parce que Barbie est généreuse, elle m’accorde une seconde chance sous la forme d’une réduction exceptionnelle sur mon abonnement annuel. Malgré les multiples lettres de relance, le chantage affectif, les supers réductions de la dernière chance, j’ai tenu bon. Et oui, en 6ème, chez « les grands », Barbie était devenu has been. Au collège, j’ouvris alors douloureusement les yeux sur la féminité balbutiante de mes condisciples. Nombrils à l’air, franges coques 4, chaussettes d’écolière aguicheuse, remarques acerbes et rires de hyènes : de guerre des sexes, nous sommes entrées de plain-pied dans la guerre civile. Objectif largement dévoilé : décrocher son « Ken » tant mérité. Entourée d’apprenties bombes sexuelles, j’étais complètement minée. Je me souviens d’Alexandra J., amie de longue date devenue en quelques mois une vamp peroxydée à soutien-gorge rembourré, perchée sur talons et ego compensés.
À 15 ans comme à 25, rien n’a changé, tout a continué voire carrément empiré.


Dans les conversations, aujourd’hui j’entends : « avec mes copines et bah on se dit tout ! ». Format carte postale, l’amitié « entre filles » s’étale en tête de gondole. « Entre filles » 5 on peut : faire des soirées dans des lieux tout de « pink » revêtu, voir « arrêtes de pleurer Pénélope ! », une comédie pour filles parlant de problèmes de filles, ou assister à un spectacle de Chippendales, comme ça pour « s’éclater » 5 mais attention, en veillant à rester « glamour » 5.
C’est normal entre « girls », on se comprend.


Un peu partout je lis : les filles d’aujourd’hui raffolent des macarons (comme Marie-Antoinette version Sofia Coppola), ont tout vu Sex & the City (et aimeraient bien chiper toutes les chaussures de Carry B.), récitent leur « must have » par ordre alphabétique, se battent pour une fripe « Stella McCartney for H&M », se photographient « on line » avec toute leur penderie et adopte à l’écrit un langage subtilement codé.
Exemple : « hi hi hi » = rires entendus genre complices plus communément appelés « lol ». Bizarre, bizarre. Sur ce point, j’enquêterai bientôt plus longuement.


Chez le libraire, je vois : des livres spécialement écrits pour nous, « les filles». Florilège : Blonde Attitude, L'accro du shopping à Manhattan... Couvertures colorées, humour sautillant et finalement aussi léger qu’une choucroute après une journée de canicule. Note à moi-même : songer à me plonger dans les Barbara Cartland, C’est vintage, donc potentiellement furieusement « trendy » 6.


Finalement, elle était plutôt sympa cette Barbie. Quant à Hello Kitty, échappée des cours de récré, elle se pavane désormais sur des « tops » 100% cachemire.
Tout fout le camp, je vous dis.

Message d’avertissement : ceci n’est pas un vrai blog de fille. De toute façon j’ai jamais su faire les bracelets brésiliens.

1 Il s’agit de portraits-robots réalisés à l’emporte-pièce.

2 Par définition : qui ne rentre pas dans la norme. Exemple : Madeleine, la cinquantaine, le cheveux gras, assistante maternelle aux dents trop écartés pour être honnête, était considérée comme une personne « bizarre » dans l’imaginaire collectif des maternelles grande section. Les enfants sont cruels. Très cruels.

3 Action de vouloir à tout prix se transformer en être parfaitement uniforme et interchangeable. Les boutons d’acné et le libre-arbitre sont considérés comme des obstacles à la lissitude. Adoooooorer le dernier album de Philippe Katerine, n’en connaître qu’un titre (Louxor, j’adore) et le chanter à tue-tête à ses collègues peut grandement accélérer le processus de lissitude.

4 Pour plus d’infos, voir la coiffure de Brandon Walsh (première période) dans la série Beverly Hills 90210.

5 Concept déposé. « Entre filles » peut convenir à un groupe de trentenaires mais aussi à des quadras (des quadras un minimum « fashionistas » -autre concept déposé).

6 Vintage ou pas vintage ? La frontière est parfois floue. Exemple : porter la blouse sixties en nylon de votre mémé n’est pas considéré comme un acte vintage. C’est simplement ringard voire inquiétant.

antitout

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Commentaires
R
Eve> allez bas les masques... <br /> Il m'arrive moi aussi de manger des macarons dans le secret de mon appartement. Mais pas au point de "kiffer" Ladurée. Et puis après avoir lu (et beaucoup aimé) ce que tu écris (j'ai découvert ton blog hier - merci canalblog) je peux l'affirmer : non tu n'as rien d'une vraie fille, de celles qui crient "oh c'est mignon" en croisant un bichon, portent des "top", écrivent des "lol", "kikou" ou "mdr" à longueur de mail, et pensent être au top.
E
Waouh la chance ! Moi aussi j'étais du côté des porteuses de serre-têtes aux bottes fourrées (question de survie oblige) mais j'ai jamais eu droit au Club Barbie...<br /> <br /> Par contre m'dame, est-ce que je risque de sombrer du côté obscur de la force, à savoir du côté des porteuses de sacs Vuitton qui ont "le diable s'habille en Prada" sur leur table de chevet si je revendique mon amour pour les macarons ? Parce que certes, le macaron, c'est pas très rock'n'roll comme concept, ça relève même carrément de mon côté pétasse glamour refoulé, mais je m'interroge : parce que je veux pas devenir une vraie fille moi, je veux pas organiser des goûters avec mes copines et boire de la camomille en écoutant Norah jones !! (pas Norah Jones maman, naaaaan, pas ça !!!!)
L
ça aussi ça me plait bien un blog sans photo de macaron ! ;-)
C
Salut Rosa Rose,<br /> <br /> Ravie de te retrouver sur un nouveau blog, toujours autant d'idées et de talent BRAVO et pas mal le nouveau nom Rrrrosa rrrose...
R
coiiin> -contente de te revoir par ici-<br /> Ah, le personnage du garçon manqué ! Un grand classique. Du genre a crier plus fort que les garçons, à couper les cheveux des Barbie et à terroriser tout le monde au passage.
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