SLIMilitude
Il y a des sujets graves dont on ne parle jamais. Au JT, dans les journaux, rien, nada. C’est l’omerta. Et pourtant dans la rue, je constate quotidiennement les dégâts. Personne n'ignore les ravages du jean slim parmi la population masculine mais tout le monde préfère détourner le regard, par pudeur, par gêne, parce que « c’est comme ça » 1. Confiante, je pensais, au départ, que ce ne serait qu’un épiphénomène, tout au plus un snobisme, réservé à Karl L., sexagénaire transgénique moulé dans une taille 12 ans et aux baby rockers un brin poseurs, s’affichant en slim et Ray-Ban en attendant de devenir des stars, des vraies. À cette époque, je claironnais : « le jean slim pour hommes, ça ne marchera jamais ! », le tout ponctué d'un petit rire moqueur. C’est ce que prédisaient également les ringards au moment de l’ascension d’un certain Elvis, dit the pelvis. J’aurai dû me méfier, il ne fait pas bon jouer les prédicateurs du dimanche.
Du papier glacé au papier journal, échappé des podiums, le slim est descendu dans la rue. Il colle désormais à la peau des hommes du peuple. Le mâle est fait, comme un rat. Comment tout a basculé ? Mystère. La mode masculine échappe à toute logique, son histoire en témoigne. En peau de bête dans les cavernes, en toge dans l’Antiquité, en collant au Moyen Âge, en perruque à Versailles, en mocassins à glands dans les années 50, en pantalon feu au plancher au temps des yéyés, sur des chaussures plateformes dans les seventies, en survêtement fluo dans les années 80… Depuis la nuit des temps, les hommes, mal dans leurs fringues, se cherchent 2. Pire, et s'ils n'étaient finalement que des innocents, proies toutes désignées de stylistes machiavéliques, se plaisant à les affubler de serpillières et autres guenilles asymétriques ? La théorie se tient, j’ai des preuves 3. Dans le genre complot international sponsorisé par Vogue Hommes. Ce serait donc cela le fameux mystère masculin. Egoïste que j’étais, trop occupée à passer et re-passer en revue ma penderie, je n’ai jamais vu/voulu voir la vérité en face. Nez à nez avec une invasion de jeans slim, la souffrance vestimentaire au masculin me saute aujourd’hui aux yeux. Trop tard. Les petits, les grands, les maigres, les gros : les hommes, brebis égarées dans l’univers impitoyable du style, l’ont adopté, les yeux fermés. Problème, moi, je les ai grands ouverts.
Je garde en tête l’image de ce jeune homme à la carrure de rugbyman, la mèche au vent négligemment domestiquée –l’air de rien-, la paire d’Aviator sur le nez en ce jour de grisaille, et ses deux jambes –ma foi robustes- boudinées dans un de ces pantalons de torture, prêt à craquer, sous toutes les coutures. À son arrêt, sans doute persuadé d’avoir trouvé son style, THE style, il s’est levé avec l’aplomb de ceux qui se pensent au-dessus du lot. Derrière la vitre, je l’ai regardé marcher, toujours aussi fier de son achat. Vu de loin, son jean avait désormais l’aspect d’un collant. De ma place, j’aurais d'ailleurs juré qu’il revenait d'un cours de fitness.
Conclusion :
Sauvez les hommes, dites non au slim !
1 C’est comme ça : expression de secours à servir en cas d’absence de répartie. À noter : le « c’est comme ça » se marie très bien avec un « et puis c’est tout ». Ce qui donne au final : « C’est comme ça... (prendre une expression mi-résignée, mi-digne à la Gabin)… Et puis c’est tout ». Magique !
2 Il/elle se cherche : formule de politesse enrobant d’un voile pudique la vérité, la vraie : Il/elle n’a aucun goût et n’en aura jamais.
3 J’ai des preuves accablantes. Ici