Dans la vraie vie, je suis la fille cachée de Bruce Lee
J’en ai déjà déboîté des mâchoires, cassé des nez et brisé menu menu des genoux et des réputations… Dans mes rêves. La moindre parole de travers, un geste déplacé, et ça part, c’est plus fort que moi. Et paf ! Et vlan ! Et pourtant… « Très calme, voire réservée » : au collège sur mon carnet de correspondance, je faisais bien pâle figure. C’était sans connaître ma vraie nature. Car la nuit, dans mon lit, une fois endormie j’ai généralement la claque facile. « By night » en pyjama pilou, on dirait pas comme ça mais j’en ai déjà fait chauffer des cartes vitales. « J’extériorise ma violence » me dit « Psycho pour gogo » magazine. Ce serait donc cela : la nuit, en rêve, je laisse s’exprimer mes pulsions de bad girl qui n’ont pas pu être libérées le jour J, à l’instant T. Parce que je suis bien élevée, parce que je suis une fille, parce que mes bras ont le diamètre d’une baguette de pain, parce que je déteste la violence, en théorie et dans la pratique. Et puis parce que je suis un peu lâche aussi, comme tout le monde. La nuit tombée, l’heure de la vengeance peut enfin sonner. Et puis rêver au lieu d’agir, c’est pas pareil. On ne contrôle pas ces choses-là. « J’extériorise », voyez-vous, « je sublime », j’ai des excuses, quoi. Tous les gros lourds 1, croisés un jour de déveine, sont alors susceptibles d’en prendre pour leur grade. À commencer par mon voisin du dessus, mon Richard Clayderman rien qu’à moi qui, tôt le matin le week-end et tard le soir en semaine, me ravit de ses petites impros au piano. Tellement persuadé de son talent inné, ce prodigue autodidacte a définitivement effacé de ses priorités artistiques tout soucis de mélodie. Hélas pour lui, triple hélas pour moi, Mozart comme métier, c’est déjà pris. Dans la vraie vie, j’ai signalé –calmement- à ce pianiste conceptuel que je n’étais pas trop amatrice d'envolées lyriques, et ce particulièrement entre une et deux heures du matin. En vain. La vérité c’est que je rêve d'arracher -calmement et une à une- les touches de son piano, histoire d’aller au bout de ma démarche d’extériorisation. La nuit, tout est permis.
Sur ma « black list » de redresseuse de torts nocturne, il y aussi le type du métro, serial lover des souterrains draguant et insultant dans la foulée, habitué à faire les questions et les réponses. « Tu veux venir prendre un verre, hein, dis ? »… Pas de réaction du côté de la principale intéressée… « Ouais, c’est ça va te faire *bip*, sale *bip* 2». Moi et mes bras en forme de baguettes de pain n’avons rien osé répliquer, préférant passer notre chemin comme si de rien n’était, drapés dans notre dignité. L’indifférence est pire que la haine paraît-il. Certes. Mais en attendant il y a des bonnes baffes qui se perdent. Petite, j’admirais Farah Fawcett, drôle de dame au célèbre brushing insolent et invincible, capable de faire mordre la poussière à un sale type 3 en une seule prise de karaté, le tout sur talons aiguilles, en jean pattes d’eph ultra moulant et sans jamais se casser un seul de ses ongles manucurés. La grande classe. Bon, je vous laisse, je dois aller faire une petite sieste.
1 Pour entrer dans cette catégorie, il suffit de déblatérer des blagues de blondes à longueur de journée, d’adorer l’humour de Cauet, de savoir décapsuler une Heineken avec ses dents et d'en tirer une grande fierté.
2 *biiiiiip*
3 Le sale type est très facile à reconnaître dans l’imagerie made in Amérique des seventies : des petits yeux brillants voire vicelards, une mine patibulaire, une barbe de trois jours, une démarche post Far West et une diction qui laisse à désirer. Un sale type, quoi. À noter que sa présence est généralement subtilement signalée par une petite musique vaguement inquiétante